mercredi 30 avril 2014

Léonarda, ou La rumeur d'une journée d'octobre


C'est un mixte entre la tragédie shakespearienne et la comédie fastueuse de Molière. Une sorte de mélodrame où se croisent et se déchirent des kosovares victimes d'une tyrannie française digne de Hamlet. Retour sur une pièce actuelle en quatre actes.

L'on ne nécessitera pas de trop de personnages. Prenez, pour commencer, une famille kosovare aux allures meurtries et heurtées, un président aussi perdu que flegmatique, assisté par son ministre de l'Intérieur, parfait archétype du serviteur docile et influent du monarque. Puis en arrière plan apparaîtra au troisième acte une abondance de figurants tout justes sortis du nid mais qui sait donner de la voix. Le décor, quant à lui, ne demandera pas plus de budget. Voyez plutôt...
   Acte premier, le 9 octobre 2013. Un simple bus suffira. Remplissez le d'une foule d'adolescents rentrant de sortie scolaire, lequel se dirige à présent vers le collège André Malraux de Pontarlier, dans le Doubs. A bord, Léonarda Dibrani, 15 ans, scolarisée en  classe de troisième. D'origine kosovare, c'est elle que la police attend devant l'établissement. La jeune fille se retrouve ainsi contrainte de quitter le car scolaire, malgré les protestations de sa professeur d'Histoire-Géographie. L'on insistera ici sur le caractère larmoyant et dramatique de la scène, à l'instar des personnages charismatiques de Corneille. Puis, prise en charge par la police, Léonarda rejoint sa famille soumise à l'obligation de quitter le territoire français. La mère et ses six enfants sont expulsés par avion pour le Kosovo où le père de famille, arrêté la veille à Mulhouse, les attend déjà. C'est ainsi : "On ne badine pas avec la loi."
   Plongez le deuxième acte au cœur de la France outrée, l'expulsion de la jeune fille soulevant immédiatement une vive polémique. L'on dénonce les "méthodes utilisées pour renvoyer des enfants issus de la minorité rom vers des pays qu'ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas la langue", malgré les affirmations du gouvernement que "toutes procédures administratives ont été respectées". Car la famille Dibrani n'avait pas veillée à s'intégrer ; sans papiers, sans emploi, elle ne pouvait être que de passage dans une France où les comptes publiques ne lui permettent pas d'accueillir plus de réfugiés économiques qu'elle ne le voudrait. Et Manuel Valls, cible de tous les reproches, devient un "Tyran malgré lui".
    Le troisième acte se déroule en deux parties bien distinctes. D'un côté, une gauche qui s'insurge. Au côté du parti communiste qui ne finit pas de discréditer la politique de Manuel Valls, Claude Bartolone et Harlem Désir font appel aux valeurs de la République, sans lesquelles "la gauche perdrait son âme". Et l'on compare ainsi "Les fourberies de la Gauche" à un "Faust" qui aurait défié le diable. L'on entend la voix lointaine de Léonarda qui souhaite retourner en France, et la scène suivante s'ouvre sur une horde de lycéens. Ces derniers défilent en masse, ordonnant plus qu'implorant le retour de l'adolescente. Considérant cette expulsion comme "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", ils ont foulé le pavé de la France entière Dans "L'illusion comique" de son retour.
     Quatrième et dernier acte, enfin. Placez, au centre de la scène, une estrade présidentielle derrière laquelle se tiendra François Hollande. D'un côté, Valérie Trierweiler à laquelle il se doit de plaire, de l'autre, Manuel Valls qu'il préfèrerait ne pas mécontenter. Face à lui, une population pleine de rancune. C'est jouer au "Jeu des promesses et du hasard" pour tenter de mettre un terme à l'affaire. Il rappellera, à cette occasion, que "la loi a été parfaitement respectée" lors de l'expulsion de la famille Dibrani, laissant ainsi deviner qu'un retour en France ne serait certes pas légitime. Il laisse cependant une porte maladroitement ouverte à Léonarda en lui offrant un retour en solitaire : "Si Léonarda souhaite poursuivre sa scolarité en France, un accueil lui sera réservé, mais seule". Car, comme l'a déjà ,dit un certain Hamlet, "Je dois être cruel pour être juste".
Le rideau tombera sur le visage décontenancé de Léonarda, laquelle rejette cette proposition du président : "Je n'irai pas seule en France, je n'abandonnerai pas ma famille. Je ne suis pas la seule à devoir aller à l'école, il y a aussi mes frères et mes sœurs".

  Le spectateur reste peut être sur sa fin, mais il aurait été trop long de poursuivre d'avantage.  Après de nombreuses semaines de polémique, cette "affaire Léonarda" restera considérée par le parti de gauche comme d'une "cruauté abjecte" et pour les Roms d'une "indécence inacceptable". L'on peut toutefois affirmer, sans risquer de se tromper que, très certainement, "Le retour de Léonarda n'aura pas lieu". Et l'affaire se clôt ici.


Ecotaxe et Bonnets Rouges


Après avoir été le symbole de la France révolutionnaire, de la jacquerie paysanne, puis celui de Peyot et de son grand Schtroumpf (excusez moi, j'étais obligée), ce sont les Bretons qui s'emparent à présent du bonnet rouge. Et de défiler dans la région toute entière, au cœur de la piste médiatique.

  La Bretagne, c'est cette région au passé tumultueux et à la culture verdoyante, vantée pour sa loyauté, ses valeurs, son sens du travail, et fierté du made in France. La région qui repoussa les Vikings sur la Loire en 937, qui connut, sous les duchés fastueux de Jean IV et Jean V une prospérité de perfection, et qui fit résonner sur ses terres les sabots d'Anne de Bretagne. Mère du FLB (le Front de Libération) dans les années 70, elle n'en finit pas de se battre pour ses droits. Et, aujourd'hui, elle enfile, une nouvelle fois, le costume de révolte : Le bonnet rouge et le Gwenn ha du (drapeau noir et blanc).
  Cette fois, c'est contre l'écotaxe que se soulève la Bretagne. Il nécessite peut être d'apporter quelques explications à propos de cette dernière. Idée lancée en 2007 par Nicolas Sarkozy avec pour but d'engager la France sur la voie du développement durable, elle voit véritablement le jour en 2008 avec la loi de Grenelle. Cette taxe doit être acquittée par les poids lourds de plus de 3.5 tonnes (français comme étrangers) qui empruntent les routes nationales, ainsi que certaines routes départementales sélectionnées localement. Le montant de la taxe est calculé en fonction du kilométrage parcouru sur ces routes, de la taille du véhicule et de ses émissions polluantes. Elle s'élève en moyenne à 0.12 euros par kilomètre. Elle a pour objectif de favoriser le report vers des modes de transports moins polluants (tels que le train et le bateau). Par rapport à certains pays, comme l'Allemagne et l'Autriche, elle n'a pourtant pas entraîné de réelles évolutions dans le transport ferroviaire et fluviale. La Bretagne s'est, depuis le début, soulevée contre cette taxe, laquelle apparaît au moment où la région est entièrement bouleversée par la crise économique. Les routes bretonnes, de plus, ne possèdent pas de péage. Les Bretons la jugent donc pénalisante pour la région, éloignée du cœur de l'Europe.
  L'on ne pourra pas nier, ici, toute ressemblance avec le soulèvement de 1675, époque brillantissime du règne de Louis XIV. Pas d'écotaxe en ces temps là, mais du papier timbré. Autrefois, la Bretagne était la seule région à pouvoir prélever l'impôt. Et Colbert, argentier du monarque, ne se privait pas de l'assommer de taxes fiscales. La nouvelle taxe visant le papier timbré apparaît ainsi comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Et c'est une meute de paysans et de soldats qui marche sur les terres du seigneur, pleine de rancune et de désespoir. Meute condamnée, emprisonnée, exécutée.
  Mais quand Versailles disparaît, c'est donc Pais qui foule la Bretagne à ses pieds. Car la Bretagne n'en peut plus de ce drame qui n'en finit pas et qui le poursuit depuis tant d'années. A ce mouvement de masse animé par Thierry Merret, leader finistérien de la FDSEA (syndicat agricole), s'ajoutent tous les manifestants économiques, ainsi que tous ceux qui se battent pour les emplois menacés. Salariés, agriculteurs, pêcheurs, commerçants, transporteurs, petits et grands patrons, élus, syndicalistes, des manifestants défilant par milliers et qui vont jusqu'à semer de la violence sur leur passage, brûlant les récoltes et détruisant les portiques d'une valeur de 500 000 euros. Une révolte légitime des petits contre l'impôt injuste des grands.

  Cette révolte suffit, non pas à supprimer l'écotaxe, mais à faire reculer le gouvernement pour une question de quelques mois. Il faut bien l'avouer, cet impôt censé combattre les pollutions est bien loin de faire régresser les problèmes climatiques, et la fonte des glaciers en Antarctique n'en ressent pas moins d'effets. Quant à la révolte des bonnets rouges, elle n'est pas seulement celle d'une Bretagne effondrée, mais le reflet de toute la France. Lasse et écœurée.