mardi 30 juin 2015

Dernière lettre aux lycéens

« Partir, c’est mourir un peu, C’est mourir à ce qu’on aime : On laisse un peu de soi-même. En toute heure et dans tout lieu. » (Edmond Haraucourt)
Je signe là mon dernier article dans l’Apprenti. Il clôt mes trois années au lycée, mes trois années à valser entre le local du journal et les salles de cours, les révisions pour le bac et les maquettes à boucler à temps. Des moments pas toujours aussi sereins qu’on pourrait le croire. On m’a dit parfois que je faisais trop « bouger les lignes ». On m’a reproché mon premier pamphlet J’accuse-version 2.0 (n 39), mon hommage à Charlie Hebdo, mes emportements face à toute défaite politique et sociétale ; des écrits apparemment trop subjectifs, et peut-être même une plume trop virulente. On m’a traité d’influençable. Si je profite de cette dernière page, c’est pour me permettre, une dernière fois, de scandaliser les esprits les plus fragiles (tranquillisez-vous, il y a fort à penser que vous serez en tout repos l’an prochain !)
  Etre journaliste jeune. Pour vous, pour tous ceux que j’ai pu fréquenter ces dernières années, ces trois mots semblaient dérisoires. Qu’est-ce qu’ils font, ces journalistes jeunes ? Ils sont dans un local, une pièce minuscule au fond du couloir. Il paraît qu’ils écrivent. Et qu’est ce qu’ils écrivent ? Franchement, est-ce que ça vaut la peine de le savoir ? Etre journaliste jeune, ce n’est pas se réunir quelques fois par an  et poser nonchalamment ses articles sur la table sans aller plus loin. Ce n’est pas, comme on nous l’a si souvent reproché, chercher coûte que coûte à se faire remarquer sans raison valable, ni écrire un article en quelques secondes pour simplement vous les balancer comme à des animaux.
Etre journaliste jeune, ce n’est pas seulement un engagement. Au lycée Blaise Pascal, pendant trois ans, être journaliste jeune a été une épreuve. Sommairement, c’est se réunir chaque matin, avant huit heures, pour faire le point, se retrouver de nouveau à midi (au détriment du déjeuner de certains), passer des nuits blanches à finaliser un numéro, puis le recommencer vers deux heures du matin parce que le système a sauté mais que vous avez promis à votre rédacteur en chef qu’il serait terminé le lendemain. Etre membre de l’Apprenti va encore plus loin : c’est subir les humiliations, les dégradations, les insultes tout au long de l’année. C’est retrouver vos nuits de travail chiffonnées au fond des poubelles, supporter les regards méprisants de ceux qui vous ont à peine lu mais qui, par principe humain, ont décidé qu’ils vous haïssaient. C’est se réveiller chaque matin et se demander pourquoi on est là, pourquoi on se bat encore, pourquoi est-ce que l’on  s’acharne à vouloir ouvrir les yeux de 2000 lycéens qui ne vous répondent qu’avec dégoût. En trois ans, nous avons été traités de « collabos », de « nazis », de « torchons ambulants ».  Et pourtant, nous avons continué à déambuler fièrement dans les couloirs du lycée, nous nous sommes interdits de raser les murs malgré tant d’oppression, nous nous sommes affranchis de toute censure. Et nous nous sommes certainement plus épanouis que tous ceux qui fermaient les yeux devant nos gros titres.
J’ai conscience que cet article, une dernière fois, en fera ciller plus d’un. Tant mieux. Si je suis trop virulente pour certains (ou trop franche ?), c’est uniquement, et j’ose le dire avec toute la prétention dont je suis capable, que mon but a été atteint. Apprenez une chose : la presse jeune, non seulement est libre de toute censure exception faite de la sienne. Une deuxième peut-être, c’est qu’il n’y a qu’en s’exprimant librement qu’elle pourra s’épanouir.
A ceux qui ont toujours refusé de nous lire, aux lycéens qui repoussaient nos journaux avec un air narquois au possible, je ne saurai leur reprocher que leur manque d’ouverture qui, au fond, ne regarde qu’eux. Quant aux autres qui prenaient un malin plaisir à nous discréditer même au-delà de l’établissement, je leur reproche leur aveuglement face au monde d’aujourd’hui face auquel ils devraient se soulever, leur égocentrisme de par leur refus de tolérer que leurs semblables aient besoin de reconnaissance, enfin leur arrogance pour s’obstiner à ne pas reconnaître des heures de travail.

Avoir un journal dans un lycée est une chance. Il est l’un des piliers de la démocratie dans un établissement scolaire. Aujourd’hui, je ne peux partir que mitigée. Malgré le pincement au cœur qui va saisir tous les membres de l’Apprenti dans quelques heures, je suis obligée d’avouer que quitter la rédaction me fait l’effet d’un poids que l’on me retire. Je remercie malgré tout ceux qui ont osé nous soutenir tout au long de ces années ; élèves compréhensifs comme professeurs passionnés. Ce sont eux qui me permettent de ne pas m’en aller déçue. 

Vous n'aurez pas la presse jeune

   Il y a quelques mois seulement que la presse satirique, la presse libre et délicieusement provocatrice symbolisée par Charlie Hebdo, a manqué d’être étouffée par une poussée d’obscurantisme. Aujourd’hui, c’est la presse jeune que l’on chercher à essouffler. Or, une telle idée est tout simplement impensable.

  Le 11 janvier, toute la France était Charlie ; cinq millions de personnes défilaient dans les rues, les autres applaudissaient aux balcons ou s’empressaient d’aller acheter le dernier numéro du journal ravagé – crise parfois rehaussée d’ hypocrisie pour un journal que certains n’avaient encore jamais tenu dans leurs mains. Pendant quelques heures, nous avons cru, de manière très utopique peut être, que tous les Français avaient réussi à se réconcilier autour d’une même et unique évidence : la presse, ici, en France, est libre. Exception française, « bête et méchante » à ses heures, ignorant toute censure et hurlant haut et fort ses valeurs comme ses idéaux, elle devait absolument perdurer, ne jamais s’éteindre. La censure est insupportable à ceux qui ont pris goût à tout dire. Or, c’est là l’un des goûts sur lesquels est bâti notre République, première valeur qui nous fait émerger de nombreux autres pays où la presse, malgré les apparences, ne fait que se déguiser et balbutier des vérités dérisoires. Pourtant, après ce glorieux 11 janvier, après ces manifestations gaillardes et virulentes qui avaient tant honoré la France et fait remonter la popularité du Président comme après une semence intensive, on entendit dès le lendemain gronder les premières girouettes. Les révolutionnaires du dimanche revêtirent le lundi leurs costumes réactionnaires et leurs discours insensés : « Oui, la presse doit être libre, mais… » Ah ! Ce « mais » qui retire à lui seul toute la grandiloquence d’une pensée libre. « Mais ». Quatre pauvres lettres ridicules. Quatre lettres comme « mort », comme « rire », « Charb », « Cabu », autant de mots qui, malgré leur limité structurelle, ne perdent pas moins en significations. Et voilà qu’on remettait en question des siècles de combats pour la presse libre, que l’on jetait sur la table les écrits révolutionnaires des Lumières, de Voltaire, de Malesherbes, de Rabelais, de tous ceux qui, un jour, ont œuvré à libérer pensée et opinion, journalistes comme écrivains. A libérer tout un peuple de l’ignorance et de la censure. Voilà que certains se remettent à cracher sur notre liberté d’expression si durement acquise, cette valeur de combat, cette revendication acharnée contre la censure et le despotisme. Et l’on va jusqu’à remettre en cause le rire, dernier moyen de ne pas céder à certaines réalités qui devraient nous effrayer.
   Remettre en question la liberté d’expression est une aberration. Que l’on s’en prenne ensuite à la presse jeune l’est d’avantage. Les menaces et les attaques que reçoivent depuis janvier les journalistes de La Mouette bâillonnée, journal du lycée Marcelin-Berthelot de Saint Maur sont absolument ignobles et effrayantes. En quoi donc ont-ils blasphémé, offensé, outragé qui que ce soit ? Ils n’ont fait que soutenir ceux qu’ils considéraient comme un modèle, rendre hommage à leurs maîtres morts pour la liberté, et, par la même occasion, revendiquer la leur et affirmer que la jeunesse ne se laisserait pas traîner dans la boue. En un mot, ils n’ont fait que leur devoir de jeunes journalistes. Au XVIIIème siècle, à seulement quinze ans, Benjamin Franklin écrivait pour le New England Courant : « Sans liberté de pensée, il ne peut y avoir de sagesse, et pas de liberté du peuple sans liberté d’opinion. » Aujourd’hui, au XXIème siècle, en 2015, un jeune rédacteur en chef à peine âgé de dix-sept ans, vit dans la peur et la tourmente pour avoir osé user de sa propre liberté. Répondre à une liberté d’expression aussi légitime qu’exemplaire par l’envoi de balles et par des menaces injustifiées revient à répondre par la plus obscure et la plus grave des ignorances. L’ignorance, « mère de tous les maux ». La liberté d’expression peut blesser, elle ne tuera jamais. La presse jeune ne doit pas disparaître et ne disparaîtra pas. S’il faut remettre en question la liberté de la presse, s’il faut la galvaniser à nouveau, la faire revenir à un état fondamental, primitif, muette au possible et aussi corrompue qu’en instance de guerre, personne ne touchera à celle de la jeunesse. Il n’y a qu’elle, aujourd’hui, qui soit encore en mesure de contrer tous les écueils imposés à la liberté d’expression, il n’y a qu’elle qui puisse encore clamer ses valeurs - valeurs que le reste de la population semble avoir oubliées en préférant se conforter dans de rassurantes mesures limitatrices. S’interdire de penser autrement que par l’idée imposée est une bonne excuse pour ceux qui n’osent pas être eux-mêmes. Dans un monde de plus en plus corrompu où la démocratie, la laïcité, l’expression, toutes ces entités qui devraient être inébranlables, sont aujourd’hui bafouées, la voix des jeunes n’est pas seulement importante : elle est nécessaire. Sans elle, c’est toute la société qui sombre,  c’est tous les piliers de la liberté qui s’effondrent. Et nous, en tant que journalistes jeunes, ne nous laisserons pas embourber par les menaces qui pèsent d’avantage sur nous. Car l’exemple de La Mouette Bâillonnée reflète bien la réalité de nombreux journaux lycéens, de plus en plus victimes d’humiliation, de manque de reconnaissance, ou de simple indifférence. Or, nous n’admettrons ni ces menaces, ni ces dégradations, encore moins la peur et la corruption qui voudraient causer notre disparition. Aujourd’hui, ce sont tous les journalistes jeunes qui se soulèvent pour soutenir l’équipe de La Mouette Bâillonnée, afin de lui faire comprendre qu’elle ne sera jamais seule dans ce combat pour l’affirmation de ses valeurs, de nos valeurs. Et nous les porterons jusqu’à ce qu’ils soient hors de danger, nous resterons debout, près à mordre au moindre assaut. Consciente de sa légitimité et de l’authenticité de ses écrits, il est hors de question que la presse jeune se laisse écraser par les vices de ceux qui croient pouvoir la combattre. S’il y a une chose qui puisse réellement être considérée comme intolérable, c’est l’intolérance elle-même, et, en ce moment, lutter contre l’intolérance est du ressort d’une presse en devenir, de journalistes qui croient encore en ce qu’ils sont et en ce qu’ils veulent être. Alors nous invitons toute la presse jeune, nous invitons tous ceux qui savent encore faire pleurer ou rire l’encre selon leur envie, nous les invitons à se soulever avec nous pour dresser une muraille infranchissable, une muraille qui protégera tous ceux dont l’écriture et la liberté sont menacées, une muraille qui ne connaîtra ni gouvernant, ni menace, ni qui que ce soit pour tenter de la démolir. La presse jeune est la plus forte, la plus vraie, la plus vaillante. Et elle le sera toujours.
 


   Un certain François Mitterrand a dit « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, celui qui la méconnaît, en revanche, a toujours tort. » Aujourd’hui, nous dénonçons cette partie de la société qui, en nous, en menaçant le journal de La Mouette Bâillonnée, est plongée dans ses torts. Et quand bien même celle-ci serait entièrement aveugle, nous saurons résister et porter le flambeau de notre liberté.