Il y a quelques
mois seulement que la presse satirique, la presse libre et délicieusement
provocatrice symbolisée par Charlie Hebdo, a manqué d’être étouffée par une
poussée d’obscurantisme. Aujourd’hui, c’est la presse jeune que l’on chercher à
essouffler. Or, une telle idée est tout simplement impensable.
Le 11 janvier, toute
la France
était Charlie ; cinq millions de personnes défilaient dans les rues, les
autres applaudissaient aux balcons ou s’empressaient d’aller acheter le dernier
numéro du journal ravagé – crise parfois rehaussée d’ hypocrisie pour un
journal que certains n’avaient encore jamais tenu dans leurs mains. Pendant
quelques heures, nous avons cru, de manière très utopique peut être, que tous
les Français avaient réussi à se réconcilier autour d’une même et unique
évidence : la presse, ici, en France, est libre. Exception française,
« bête et méchante » à ses heures, ignorant toute censure et hurlant
haut et fort ses valeurs comme ses idéaux, elle devait absolument perdurer, ne
jamais s’éteindre. La censure est insupportable à ceux qui ont pris goût à tout
dire. Or, c’est là l’un des goûts sur lesquels est bâti notre République,
première valeur qui nous fait émerger de nombreux autres pays où la presse,
malgré les apparences, ne fait que se déguiser et balbutier des vérités
dérisoires. Pourtant, après ce glorieux 11 janvier, après ces manifestations
gaillardes et virulentes qui avaient tant honoré la France et fait remonter la
popularité du Président comme après une semence intensive, on entendit dès le
lendemain gronder les premières girouettes. Les révolutionnaires du dimanche
revêtirent le lundi leurs costumes réactionnaires et leurs discours
insensés : « Oui, la presse doit être libre, mais… » Ah ! Ce
« mais » qui retire à lui seul toute la grandiloquence d’une pensée
libre. « Mais ». Quatre pauvres lettres ridicules. Quatre lettres
comme « mort », comme « rire », « Charb »,
« Cabu », autant de mots qui, malgré leur limité structurelle, ne
perdent pas moins en significations. Et voilà qu’on remettait en question des
siècles de combats pour la presse libre, que l’on jetait sur la table les
écrits révolutionnaires des Lumières, de Voltaire, de Malesherbes, de Rabelais,
de tous ceux qui, un jour, ont œuvré à libérer pensée et opinion, journalistes
comme écrivains. A libérer tout un peuple de l’ignorance et de la censure.
Voilà que certains se remettent à cracher sur notre liberté d’expression si
durement acquise, cette valeur de combat, cette revendication acharnée contre
la censure et le despotisme. Et l’on va jusqu’à remettre en cause le rire,
dernier moyen de ne pas céder à certaines réalités qui devraient nous effrayer.
Remettre en
question la liberté d’expression est une aberration. Que l’on s’en prenne
ensuite à la presse jeune l’est d’avantage. Les menaces et les attaques que
reçoivent depuis janvier les journalistes de La
Mouette bâillonnée, journal du lycée Marcelin-Berthelot de Saint Maur sont absolument ignobles et
effrayantes. En quoi donc ont-ils blasphémé, offensé, outragé qui que ce
soit ? Ils n’ont fait que soutenir ceux qu’ils considéraient comme un
modèle, rendre hommage à leurs maîtres morts pour la liberté, et, par la même
occasion, revendiquer la leur et affirmer que la jeunesse ne se laisserait pas
traîner dans la boue. En un mot, ils n’ont fait que leur devoir de jeunes
journalistes. Au XVIIIème siècle, à seulement quinze ans, Benjamin Franklin
écrivait pour le New England Courant :
« Sans liberté de pensée, il ne peut
y avoir de sagesse, et pas de liberté du peuple sans liberté d’opinion. »
Aujourd’hui, au XXIème siècle, en 2015, un jeune rédacteur en chef à peine âgé
de dix-sept ans, vit dans la peur et la tourmente pour avoir osé user de sa
propre liberté. Répondre à une liberté d’expression aussi légitime
qu’exemplaire par l’envoi de balles et par des menaces injustifiées revient à
répondre par la plus obscure et la plus grave des ignorances. L’ignorance,
« mère de tous les maux ».
La liberté d’expression peut blesser, elle ne tuera jamais. La presse jeune ne
doit pas disparaître et ne disparaîtra pas. S’il faut remettre en question la
liberté de la presse, s’il faut la galvaniser à nouveau, la faire revenir à un
état fondamental, primitif, muette au possible et aussi corrompue qu’en
instance de guerre, personne ne touchera à celle de la jeunesse. Il n’y a
qu’elle, aujourd’hui, qui soit encore en mesure de contrer tous les écueils
imposés à la liberté d’expression, il n’y a qu’elle qui puisse encore clamer
ses valeurs - valeurs que le reste de la population semble avoir oubliées en
préférant se conforter dans de rassurantes mesures limitatrices. S’interdire de
penser autrement que par l’idée imposée est une bonne excuse pour ceux qui
n’osent pas être eux-mêmes. Dans un monde de plus en plus corrompu où la
démocratie, la laïcité, l’expression, toutes ces entités qui devraient être inébranlables,
sont aujourd’hui bafouées, la voix des jeunes n’est pas seulement
importante : elle est nécessaire. Sans elle, c’est toute la société qui
sombre, c’est tous les piliers de la
liberté qui s’effondrent. Et nous, en tant que journalistes jeunes, ne nous
laisserons pas embourber par les menaces qui pèsent d’avantage sur nous. Car
l’exemple de La
Mouette Bâillonnée
reflète bien la réalité de nombreux journaux lycéens, de plus en plus victimes
d’humiliation, de manque de reconnaissance, ou de simple indifférence. Or, nous
n’admettrons ni ces menaces, ni ces dégradations, encore moins la peur et la
corruption qui voudraient causer notre disparition. Aujourd’hui, ce sont tous
les journalistes jeunes qui se soulèvent pour soutenir l’équipe de La
Mouette Bâillonnée , afin de lui faire comprendre qu’elle
ne sera jamais seule dans ce combat pour l’affirmation de ses valeurs, de nos
valeurs. Et nous les porterons jusqu’à ce qu’ils soient hors de danger, nous
resterons debout, près à mordre au moindre assaut. Consciente de sa légitimité
et de l’authenticité de ses écrits, il est hors de question que la presse jeune
se laisse écraser par les vices de ceux qui croient pouvoir la combattre. S’il
y a une chose qui puisse réellement être considérée comme intolérable, c’est
l’intolérance elle-même, et, en ce moment, lutter contre l’intolérance est du
ressort d’une presse en devenir, de journalistes qui croient encore en ce
qu’ils sont et en ce qu’ils veulent être. Alors nous invitons toute la presse
jeune, nous invitons tous ceux qui savent encore faire pleurer ou rire l’encre
selon leur envie, nous les invitons à se soulever avec nous pour dresser une
muraille infranchissable, une muraille qui protégera tous ceux dont l’écriture
et la liberté sont menacées, une muraille qui ne connaîtra ni gouvernant, ni menace,
ni qui que ce soit pour tenter de la démolir. La presse jeune est la plus
forte, la plus vraie, la plus vaillante. Et elle le sera toujours.
Un certain François
Mitterrand a dit « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, celui qui
la méconnaît, en revanche, a toujours tort. » Aujourd’hui, nous dénonçons
cette partie de la société qui, en nous, en menaçant le journal de La Mouette
Bâillonnée, est plongée dans ses torts. Et quand bien même celle-ci serait
entièrement aveugle, nous saurons résister et porter le flambeau de notre
liberté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire