mardi 2 décembre 2014

Etre drôle



      Il y a quelques jours, j’avais la farouche ambition de vous parler de Rémi Fraisse. Et pas n’importe comment : je dois avoir plus d’une vingtaine de coupures de journaux rien que sur cette affaire, spécialement pour cet article ! Seulement voilà, il y a deux jours, mon rédac’ en chef est venu me voir avec un air désolé et m’a fait le coup du « Tu sais… Faudrait que tu fasses des articles un peu plus drôles sur le blog… Moins politiques aussi… Enfin moins sérieux quoi ! »
Bref, je suis censée être drôle. Là c’est le moment où je lève les yeux sur les sujets d’actualité, et tout ce que je vois c’est « Ebola », « Jouyet-Fillon », « remise en route du Japon »… Et si on s’arrêtait là ? Ce qui est sûr, c’est que si je veux être drôle et éviter la politique, ce n’est pas dans l’actualité que je vais devoir piocher ! Alors expliquez-moi de quoi je vais bien devoir parler hein ? C’est vrai, je n’ai même pas l’habitude d’écrire des articles hilarants ! Et puis comment est-ce que vous voulez être drôle quand même les clowns deviennent la plus grande menace de la France ? (Sauf que je ne vais pas vous parler de clowns méchants maintenant, puisqu’il est déjà prévu qu’on vous en fasse le récit dans le prochain journal papier).
Du coup, j’ai essayé de me renseigner un peu autour de moi. La fameuse question qui tue : Comment être drôle ? Mon petit frère m’a regardé avec un air innocent et m’a répondu « pour être drôle, je crois qu’il faut avoir ma tête. » Bref. De l’autre côté mes amies se sont lancées dans un discours philo-pathétique du style « Alors faut être naturel, ouais ouais, et puis ne pas se mettre de limites, enfin ne pas se prendre la tête quoi, t’vois ? Bref, just be you, quoi !
 » Je vois oui.
Mais ma réponse préférée, ça a été celle de Laurent Gilles  dans : Mauvaises Nouvelles :

-T’es pas drôle aujourd’hui.
-Tu sais, on peut pas être drôle tous les jours.
-Ah bon… Et pourquoi ?
-J’sais pas.
-On a qu’à jouer à être drôle.
-ça va pas être facile.
-Il suffit de pas être triste.
-Toi, t’es vraiment drôle.

Jouer à être drôle… Est-ce que ce ne serait pas le jeu de nous tous, finalement ? Est ce que ça veut encore dire quelque chose, aujourd’hui, être drôle ? Est-ce que vous trouvez vraiment amusant la blague machiste que votre copain vient de vous balancer ? Aujourd’hui, on rit, c’est vrai. Partout. Pour n’importe quoi. Pas vraiment parce que c’est drôle, mais parce que, au final, c’est tout ce qui nous permet de croire qu’on est vraiment heureux et qu’on accepte ce monde dans lequel on vit. Au 21ème siècle, être drôle, c’est savoir  vanner. Et vanner, c’est pointer du doigt un défaut, une aberration chez quelqu’un d’autre et tourner ça en ridicule. La dérision, en quelque sorte. Etre assez observateur et attentif pour remarquer le détail qui tue, rebondir dessus et lancer sa vanne. Enfin, tout un art quoi…
  On m’a dit aussi qu’il fallait être heureux pour être vraiment drôle. Je ne suis pas vraiment d’accord. Pour moi, ce serait plutôt l’inverse : être drôle pour être heureux. Ou au moins pour essayer de l’être. Vous savez, se donner cette impression à soi-même que l’on est parfaitement heureux rien qu’en amusant la galerie, ressentir cette impression d’être adulé, fort, invincible, parce que vous parvenez à faire sourire toute une salle. J’admire beaucoup les gens qui sont drôles (en convenant qu’ils sont réellement drôles et qu’ils ne se limitent pas à des blagues carambars, évidemment). Pas ceux qui vous fatiguent à force de rire à leurs propres blagues tout au long de la journée, mais plutôt ceux qui en font une bataille. Celle d’être heureux et de rendre les autres heureux. Regardez Charlie Chaplin. Je vous ferai grâce de toute sa biographie ; le fait qu’il n’était pas l’homme le plus heureux du monde ne nous est plus inconnu. Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de faire rire aux éclats toute une génération, et de nous amuser encore aujourd’hui. Pour la simple raison qu’arrêter de rire, et de faire rire, ce serait replonger dans la réalité ; celle où les manifestants se font tuer par les gendarmes, où la courbe du chômage et de la croissance ne cessent de plonger, et où même les smileys sur votre téléphone ont un sourire recourbé. Parfois, je me demande à quoi pensent ces gens quand ils font rire les autres. Est-ce qu’ils ne sont pas soulagés ?  Soulagés de voir que les gens peuvent encore rire, alors qu’on nous assène partout que la France est de plus en plus triste ? C’est bien pour cette raison qu’on nous passe en boucle des émissions censées nous ramener à la joie de vire. Imaginez cet entretien avec Ruquier :

-Allô Laurent ? C’est Cath’ ! Tu sais pas quoi j’ai une idée de dingue !
- Si c’est encore un débat littéraire crevant à 23h t’oublie…
-Naaaan mais t’as pas compris ? On va faire rire les gens ! Chopes nous 2 ou 3 humoristes amateurs et les gens redeviendront heureux !

(On appellerait ça : dialogue entre Ruquier et Barma sur la façon d’être heureux. Interdit à la vente)
Ce qui fait que, aujourd’hui, on rit en regardant les délires de Kev Adams, ou les émissions de télé-réalité sans intérêt (Oooo regarde c’est trop drôle, elle a glissé en sortant de la douche parce qu’elle a vu que son ex la trompait avec sa meilleure amie sauf qu’il peut pas la tromper puisqu’ils sont plus ensemble à à mourir de rire !)

Enfin bref, il est midi passé, et j’ai faim. Trop pour essayer d’être drôle. Mais vous savez, être drôle c’est excellent pour la santé. Il paraît que ça rallonge la durée de vie. Que ça vous fait les habdos aussi. Ou, tout simplement, que ça vous permet d’être heureux.


NB : Je rappelle à mon cher rédac en chef que la médiocrité de cet article est entièrement de sa faute… et qu’il a malencontreusement oublié de me limiter au niveau des caractères ;) 


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