Il y a quelques
jours, j’avais la farouche ambition de vous parler de Rémi Fraisse. Et pas
n’importe comment : je dois avoir plus d’une vingtaine de coupures de
journaux rien que sur cette affaire, spécialement pour cet article !
Seulement voilà, il y a deux jours, mon rédac’ en chef est venu me voir avec un
air désolé et m’a fait le coup du « Tu sais… Faudrait que tu fasses des
articles un peu plus drôles sur le blog… Moins politiques aussi… Enfin moins
sérieux quoi ! »
Bref, je suis censée être drôle. Là c’est le moment où je
lève les yeux sur les sujets d’actualité, et tout ce que je vois c’est
« Ebola », « Jouyet-Fillon », « remise en route du
Japon »… Et si on s’arrêtait là ? Ce qui est sûr, c’est que si je
veux être drôle et éviter la politique, ce n’est pas dans l’actualité que je
vais devoir piocher ! Alors expliquez-moi de quoi je vais bien devoir
parler hein ? C’est vrai, je n’ai même pas l’habitude d’écrire des
articles hilarants ! Et puis comment est-ce que vous voulez être drôle
quand même les clowns deviennent la plus grande menace de la France ? (Sauf que je
ne vais pas vous parler de clowns méchants maintenant, puisqu’il est déjà prévu
qu’on vous en fasse le récit dans le prochain journal papier).
Du coup, j’ai essayé de me renseigner un peu autour de moi.
La fameuse question qui tue : Comment être drôle ? Mon petit frère
m’a regardé avec un air innocent et m’a répondu « pour être drôle, je
crois qu’il faut avoir ma tête. » Bref. De l’autre côté mes amies se sont
lancées dans un discours philo-pathétique du style « Alors faut être
naturel, ouais ouais, et puis ne pas se mettre de limites, enfin ne pas se
prendre la tête quoi, t’vois ? Bref, just be you, quoi !
» Je vois oui.
Mais ma réponse préférée, ça a été celle de Laurent Gilles dans : Mauvaises Nouvelles :
-T’es pas drôle aujourd’hui.
-Tu sais, on peut pas être drôle tous les jours.
-Ah bon… Et pourquoi ?
-J’sais pas.
-On a qu’à jouer à être drôle.
-ça va pas être facile.
-Il suffit de pas être triste.
-Toi, t’es vraiment drôle.
Jouer à être drôle… Est-ce que ce ne serait pas le jeu de
nous tous, finalement ? Est ce que ça veut encore dire quelque chose,
aujourd’hui, être drôle ? Est-ce que vous trouvez vraiment amusant la
blague machiste que votre copain vient de vous balancer ? Aujourd’hui, on
rit, c’est vrai. Partout. Pour n’importe quoi. Pas vraiment parce que
c’est drôle, mais parce que, au final, c’est tout ce qui nous permet de croire
qu’on est vraiment heureux et qu’on accepte ce monde dans lequel on vit. Au 21ème
siècle, être drôle, c’est savoir vanner.
Et vanner, c’est pointer du doigt un défaut, une aberration chez quelqu’un
d’autre et tourner ça en ridicule. La dérision, en quelque sorte. Etre assez
observateur et attentif pour remarquer le détail qui tue, rebondir dessus et
lancer sa vanne. Enfin, tout un art quoi…
On m’a dit aussi
qu’il fallait être heureux pour être vraiment drôle. Je ne suis pas vraiment
d’accord. Pour moi, ce serait plutôt l’inverse : être drôle pour être
heureux. Ou au moins pour essayer de l’être. Vous savez, se donner cette
impression à soi-même que l’on est parfaitement heureux rien qu’en amusant la
galerie, ressentir cette impression d’être adulé, fort, invincible, parce que
vous parvenez à faire sourire toute une salle. J’admire beaucoup les gens qui
sont drôles (en convenant qu’ils sont réellement drôles et qu’ils ne se
limitent pas à des blagues carambars, évidemment). Pas ceux qui vous fatiguent
à force de rire à leurs propres blagues tout au long de la journée, mais plutôt
ceux qui en font une bataille. Celle d’être heureux et de rendre les autres
heureux. Regardez Charlie Chaplin. Je vous ferai grâce de toute sa
biographie ; le fait qu’il n’était pas l’homme le plus heureux du monde ne
nous est plus inconnu. Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de faire rire aux
éclats toute une génération, et de nous amuser encore aujourd’hui. Pour la
simple raison qu’arrêter de rire, et de faire rire, ce serait replonger dans la
réalité ; celle où les manifestants se font tuer par les gendarmes, où la
courbe du chômage et de la croissance ne cessent de plonger, et où même les
smileys sur votre téléphone ont un sourire recourbé. Parfois, je me demande à
quoi pensent ces gens quand ils font rire les autres. Est-ce qu’ils ne
sont pas soulagés ? Soulagés de
voir que les gens peuvent encore rire, alors qu’on nous assène partout que la France est de plus en plus
triste ? C’est bien pour cette raison qu’on nous passe en boucle des
émissions censées nous ramener à la joie de vire. Imaginez cet entretien avec
Ruquier :
-Allô Laurent ? C’est Cath’ ! Tu sais pas quoi
j’ai une idée de dingue !
- Si c’est encore un débat littéraire crevant à 23h
t’oublie…
-Naaaan mais t’as pas compris ? On va faire rire les
gens ! Chopes nous 2 ou 3 humoristes amateurs et les gens redeviendront
heureux !
(On appellerait ça :
dialogue entre Ruquier et Barma sur la façon d’être heureux. Interdit à
la vente)
Ce qui fait que, aujourd’hui, on rit en regardant les
délires de Kev Adams, ou les émissions de télé-réalité sans intérêt (Oooo
regarde c’est trop drôle, elle a glissé en sortant de la douche parce qu’elle a
vu que son ex la trompait avec sa meilleure amie sauf qu’il peut pas la tromper
puisqu’ils sont plus ensemble à à mourir de rire !)
Enfin bref, il est midi passé, et j’ai faim. Trop pour
essayer d’être drôle. Mais vous savez, être drôle c’est excellent pour la
santé. Il paraît que ça rallonge la durée de vie. Que ça vous fait les habdos
aussi. Ou, tout simplement, que ça vous permet d’être heureux.
NB : Je rappelle à mon cher rédac en chef que la
médiocrité de cet article est entièrement de sa faute… et qu’il a
malencontreusement oublié de me limiter au niveau des caractères ;)
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