jeudi 8 janvier 2015

Mercredi noir-hommage à Charlie Hebdo

On pardonnera aujourd’hui mon incapacité à dresser des portraits hilarants de personnalités déjantées ou à souhaiter à chacun d’entre vous, pour ce premier article de l’année 2015, des vœux à tours de bras. Pas de méditation sur le rire cette semaine ; plutôt une sur nos valeurs et le sens de certains actes-les nôtres y compris.

  Il y a des jours, des jours comme ce mercredi 7 janvier 2015, où les évènements vous prennent au dépourvu, vous prennent à la gorge ; c’est une véritable gifle. Des jours où être Français devient tout à coup une réalité douloureusement présente ; peut être parce que la France se lamente et saigne en chacun d’entre nous. Il aura suffit de rentrer chez soi, aux alentours de midi, en sifflotant peut être encore le refrain égrillard d’une chanson dérisoire, et puis quoi ? Allumer la télévision, simple geste aussi automatique que quotidien, en attendant que l’eau boue dans la cuisine. Et puis s’effondrer. Tout à coup, sans crier gare, l’on ne peut plus que fixer cet écran noir et sinistre avec le sentiment que tout se déchaîne autour de vous. Une bataille. Un carnage, là, au plus profond de vous-même. On ne ressort jamais indemne d’une bataille.
 
Charlie Hebdo, le symbole même de la liberté d’expression, du rire démocratique, de l’information provocatrice. Le symbole d’une République, de la République française. Ils sont douze en tout-un policier y compris-à être tombés  sous les balles de ceux qui s’étaient déclarés leurs ennemis. A quoi bon relater la scène qui tourne en boucle sur nos écrans depuis une journée ? Il n’y a rien de plus glaçant que l’attitude sereine de ces assassins cagoulés qui ressortent en trombe du local décimé de Charlie Hebdo, prenant encore le temps d’achever sur le trottoir un policier en agonie, et de ramasser une pauvre basket sur le bord de la chaussée. Rien de plus glaçant que ces mots, hostiles et abjects, qui fusent en l’air, traversent la rue, avec des intonations de victoire : « On a vengé le prophète Mahomet ! On a tué Charlie Hebdo ! »
Tué Charlie Hebdo… Tous ces noms, ces hommes qui allongeaient les rangs des plus grands caricaturistes, résonnent encore et encore, comme dans un besoin perpétuel de les rappeler-peur de les oublier ou peur de ne pas admettre la réalité ?-et qui fusent à chaque fois sur nous comme une myriade de coups de poignards. Cabu. Walinsky. Charb. Tignous. Elsa. Michel. Franck. Ahmed. Honoré. Bernard. Frédéric.  Descendus, abattus dans leurs propres bureaux, mais debout, comme ils l’avaient toujours souhaité. Abattus par des porteurs d’une religion qui prône l’amour tout en fabriquant de la haine.
 
Depuis quelques heures-il semblerait que ce soit des jours entiers-la France s’est repliée dans un deuil profond et semble coupée de tout évènement extérieur. L’on entend parfois de vagues informations qui nous échappent… SNCF… Croissance… Chômage… Sont-ils devenus inconnus, ces mots ? Comment pourrait-on trouver encore la force d’évoquer l’économie en une heure pareille ? Et à tous les coins de l’hexagone, ce ne sont que lamentations et crises d’effroi, discours républicains de politiciens qui appellent à l’unité, rassemblements au cœur de chaque ville. Tous se rassemblent pour former de véritables foules de masse, ressentant soudain en eux le devoir transcendant d’être Français et, dans ce moment impossible, l’on ne peut s’empêcher de trembler devant tous ces hommes, devant toutes ces femmes, qui oublient tout de leurs préjugés pour simplement crier d’une même voix : Je suis Charlie. Nous sommes  Charlie. Aujourd’hui, il n’y a plus de simples individus « français », il y a la France. Et la France pleure.

« Je n'ai pas peur des représailles. Je n'ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. Ça fait sûrement un peu pompeux, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. »

Charb, le 19 septembre 2012 dans "Le Monde" 

Car, si les meurtriers croient n’avoir tué que Charlie Hebdo, ils omettent que c’est toute la France qui se retrouve meurtrie en son sein, touchée en plein cœur, encore abasourdie et flageolante sous le coup qui lui a été porté. Ces hommes, morts pour leurs valeurs, n’étaient pas de simples brosseurs de préjugés grotesques, ainsi que leurs assassins tendent à les qualifier. Ils représentent à eux seuls toutes les valeurs de la République et de la démocratie de la nation, la liberté d’opinion la liberté de la presse. Ils vivaient pour défendre leurs opinions, pour oser rire et faire rire même derrière la menace, pour faire entendre la voix de leur pays, et surtout, surtout montrer qu’ils étaient Libres. D’éternels enfants qui n’avaient à la bouche que les mots de « rire,  de « tendresse »  de « vérité  ». Ils étaient, et c’est aujourd’hui que nous en mesurons toute l’ampleur, des héros. En leur retirant la vie, c’est une partie de chaque Français qui s’est éteinte ce mercredi là ; c’est le territoire tout entier qui sent se resserrer autour de lui l’ombre menaçante d’une muselière. Mais la France ne se taira pas. Elle ne se taira pas parce qu’elle doit honorer jusqu’au bout la mémoire de ces hommes, flambeaux toujours vivants et immortels de notre liberté de penser, parce que se taire serait souiller leur nom et celui du pays. Parce que, devant ce 11 septembre français, se rabaisser serait inconcevable, parce que cet attentat, cette catastrophe, ne doit pas nous pousser à reculer, mais à se redresser, tous, d’un même mouvement, pour aller de l’avant et montrer quelles valeurs sont les nôtres. Aujourd’hui, la France doit fermer les yeux devant nos différences pour que tous osent enfin se prendre par la main et faire vivre le pays. Notre pays.

  En tant que journaliste jeune et au nom de tous les membres du journal l’Apprenti, je rends hommage à ces caricaturistes de renom qui sont tombés dans des conditions tellement abominables. Non, ces hommes ne sont pas morts : en les assassinant, leurs meurtriers n’ont fait que faire retentir la règle qui dictait leur pensée et que, en disparaissant, ils ont bien voulu nous transmettre : écrivez, dessinez, chantez, jouez, de quelque manière que ce soit, exprimez-vous. Soyez libres, fiers, convaincus de ce que vous êtes et de ce que vous pensez. Charlie Hebdo ne disparaîtra pas, et ne doit pas disparaître. Il nous faut à présent mettre en œuvre les valeurs que ces génies de la presse nous ont léguées. En 2015, au 21ème siècle, il n’est plus temps de faire demi-tour et de se censurer, de se murer dans un silence étouffant. Il est temps de crier, de s’époumoner. Nos valeurs ont été bafouées, mais elles restent les nôtres, et elles le seront toujours, quoi qu’il advienne. Aujourd’hui, la main sur le cœur et le poing levé, j’ose crier : Je suis Charlie. Nous sommes tous Charlie.

« L'humour est un langage que j'ai toujours aimé. Notre ressort est de dénoncer la bêtise en faisant rire. » Cabu






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